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«Slow Money»: ralentir les flux financiers pour dynamiser les économies alimentaires locales?

Par Mickaël Carlier | 1 septembre 2017 | Chronique

C’est ce que prône Woody Tasch. Acteur chevronné du monde de l’investissement, le fondateur de Slow Money s’emploit sans relâche à ré-enraciner le capital dans les communautés, en commençant par le secteur de l’alimentation.

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Woody Tasch

S’inspirant du mouvement international Slow Food, Woody Tasch affirme que le capital circule beaucoup trop rapidement, phénomène qui s’amplifie depuis l’avènement des échanges monétaires et du courtage dématérialisés. Le “capital impatient” a créé une déconnexion dangereuse entre le capital et la réalité de nos vies quotidiennes. Pour les membres de Slow Money, ce décalage entre l’économie réelle et les marchés financiers affaiblit les acteurs économiques locaux dans nos territoires et bride leur capacité à se développer. Mais c’est notre environnement naturel qui souffre le plus du phénomène.

La mission de Slow Money est de renverser les effets néfastes du “capital impatient” en réorientant les flux de capitaux vers les systèmes alimentaires locaux, en connectant directement les investisseurs à la communauté où ils vivent, et en faisant la promotion de nouveaux principes de responsabilité financière qui “ramènent l’argent à la Terre”. Cette organisation à but non lucratif vise à concilier philanthropie et gestion d’actifs à travers de l’investissement à impact social, de l’investissement axé sur la mission et sur les programmes.

Lire aussi: L’industrie alimentaire court-circuitée

«Des millions de personnes sont affectées par les dysfonctionnements sociaux, économiques et politiques causés par des institutions financières étiquetées “Too big to fail”, les inégalités extrêmes liées à la redistribution des richesses, et la volatilité de marchés de capitaux bien trop abstraits et trop complexes.» Slow Money Strategic Overview, 2015

De nouveaux modèles d’investissement émergent du mouvement Slow Money. Certaines organisations locales affiliées se donnent comme mandat premier de connecter investisseurs et entrepreneurs, et la plupart offrent de l’accompagnement et du mentorat. Elles facilitent les investissements en fournissant des critères encadrant les prêts, des outils, des modèles de documents, des guides destinés aux investisseurs, accrédités ou non. Les investisseurs accrédités ne représentent d’ailleurs que 4 % de la population canadienne, en faisant une source de capital assez limitée pour les entrepreneurs.

L’Alliance Slow Money est composée de groupes d’investissement locaux que l’on retrouve un peu partout aux États-Unis, de la Californie à New York en passant par la Caroline du Nord et le Vermont. Mais le mouvement dispose également d’un bras francophone qui coordonne des actions en France, en Belgique et en Suisse. Il est également présent au Canada, à travers des groupes d’investissements créés en Nouvelle-Écosse et à Vancouver.

À Vancouver, le mouvement Slow Money est représenté par la coopérative d’investissement Knives and Forks Community Investment Cooperative. L’organisation a été incubée par la Vancity Bank, une caisse populaire qui jouait déjà un rôle prépondérant dans le financement d’initiatives alimentaires régionales.

La coopérative Knives and Forks permet aux citoyens (investisseurs non accrédités) d’investir en achetant des parts valant 2 400 $, avec un maximum de deux parts par personne. Les frais d’adhésion à la coopérative sont de 100 $.
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«Knives and Forks se concentre sur les organisations locales impliquées dans l’économie alimentaire locale: restaurants, cultivateurs, producteurs, fournisseurs à valeur ajoutée, et la liste continue», dit William Azaroff, responsable de l’expérience des membres et de l’engagement de la communauté, Vancity Bank

Kate Dunford, Responsable régionale chez Vancity et membre du conseil d’administration de Knives and Forks, explique la décision de sa caisse de soutenir l’émergence d’une coopérative d’investissement locale: «Nos membres manifestent une envie claire de voir, toucher, sentir et investir directement dans des projets de terrain au cœur de leurs communautés. Le Slow Money est apparu comme la solution parfaite pour nous aider à diversifier les opportunités d’investissement local orientées vers les entreprises alimentaires.»

Au Vermont, la plateforme en ligne Milk Money connecte des investisseurs locaux avec des entreprises alimentaires établies en situation de faire appel à un prêt. «Milk Money, c’est là où les habitants du Vermont découvrent des opportunités d’investissement local, obtiennent des conseils pour évaluer ces opportunités, puis deviennent investisseurs.»

Dans le Maine, le club d’investissement No Small Potatoes présente aux citoyens diverses options de financement, avec une approche créative et collaborative, pour connecter des projets entrepreneuriaux prometteurs avec les ressources techniques et financières requises pour assurer leur succès. Ce chapitre local de Slow Money a quelques beaux succès à son palmarès, et parmi eux, la Portland Food Coop (PFC). La coopérative a ouvert ses portes en décembre 2014 en tant qu’organisation détenue par ses membres, et dédiée à soutenir l’économie locale. La PFC a dépassé ses projections financières en générant 3,3 millions de dollars de vente dès sa première année, dont plus d’1 million de dollars provenant du commerce d’aliments produits dans le Maine.

«Des millions de consommateurs votent déjà avec leur portefeuille en faveur d’une mise en marché plus verte, notamment par l’achat d’aliments locaux, durables et biologiques», peut-on lire dans le Slow Money Strategic Report, 2015

Selon l’Association pour le commerce des produits biologiques/Canada Organic Trade Association, le Canada a importé pour 652 millions de dollars de produits biologiques en 2015. Le cœur actuel du mouvement Slow Money, la Californie, est le centre d’un marché biologique en croissance dont le Canada est hautement dépendant. Si le renforcement de nos systèmes alimentaires québécois reste une priorité, soutenir la diversification et la résilience du marché organique californien est alors également important pour notre sécurité alimentaire.

Les investisseurs québécois tournent de plus en plus leur attention vers le secteur agroalimentaire, à la recherche de projets innovants à fort potentiel. D’après l’Union des Producteurs Agricoles, plus de 40 000 Québécois ont fait de l’agriculture leur activité principale. Mais la population agricole vieillit rapidement, et une bonne partie de la relève se tourne vers des modèles d’agriculture familiale, à plus petite échelle. Cette tendance nécessite un investissement massif dans les entreprises agricoles qui prennent le relai des grosses exploitations actuelles, à risque de disparaître car ne disposant pas de successeur.

En 2011, un tiers des exploitations émergentes étaient menées par de jeunes nouveaux entrepreneurs. Dans certains cas, les nouvelles générations reprennent la ferme familiale, mais s’orientent vers des modes de production plus durables. C’est le cas de Meagan Patch, des Fermes Patch, situées dans la région de Brome-Missisquoi. Fermière de quatrième génération, Meagan a repris l’exploitation bovine familiale, mais effectue une transition vers un élevage plus durable. Sur ses 300 acres, elle met en place des pâturages rotatifs, approche plus écologique mais qui requiert l’implantation de nouvelles infrastructures. Conduites d’eau, unités de stockage du grain, systèmes de drainage sont nécessaires pour assurer la pérennité du projet, de même que l’intégration de nouvelles races bovines, plus adaptées à ce mode de production. Situé entre 5000 $ et 15 000 $, l’investissement requis pour que l’entreprise franchisse cette nouvelle étape de sa croissance est relativement faible. Mais les prêts proposés par le gouvernement tournent plutôt autour de 100 000 $, montant non adapté et assorti de taux d’intérêt prohibitifs pour des exploitations en démarrage ou qui souhaitent passer à l’échelle. Meagan, en tant que fermière de 4e génération, n’est pas considérée comme entrepreneure en démarrage, et ne peut donc pas non plus prétendre aux prêts accordés aux nouvelles entreprises agricoles.

La mission de Slow Money peut sembler audacieuse, mais le rapport stratégique publié en 2015 par l’organisation souligne que plus de 33 000 personnes ont déjà signé les Principes de Slow Money et que, «depuis 2010, plus de 56,5 millions de dollars ont été investis dans plus de 632 entreprises alimentaires locales et biologiques à travers tout le réseau.» Les membres des groupes Slow Money restent très attentifs aux tendances alimentaires locales et continuent à évaluer les opportunités concrètes d’investissement tout en poursuivant leur travail de création de mécanismes directs au sein de leurs communautés. Ils soutiennent ainsi la dynamisation des économies alimentaires locales.

A propos des auteures :
Laura Howard et Marina Jolly sont les cofondatrices de Récolte, un OBNL qui oeuvre à dynamiser et à renforcer les écosystèmes alimentaires locaux en soutenant l’émergence de modèles alternatifs viables.
Alors qu’un groupe Slow Money est en cours de création pour la première fois au Québec, rejoignez Récolte pour une présentation des mécanismes alternatifs de financement, le mercredi 13 septembre, ou le 25 octobre lors du Forum Novae, pour une masterclass qui sera dédiée à l’économie alimentaire locale.

 


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