Coworking : l'éternel recommencement ?
Par Marie Allimann | 6 septembre 2016 |
Chronique
Le collaboratif (sous toute ses formes) a le vent en poupe depuis plusieurs années. Qu’il s’agisse du transport d’individus, de prêts d’outils ou de matériel sportif, que l’on parle dématérialisation ou ubérisation : on partage, on mutualise, bref on fait en sorte de penser au groupe et pas seulement à l’individu.
Dans le domaine des espaces de travail, rappelons que c’est dans la région de San Francisco qu’a été inventé en 2005 le premier espace de coworking. Un lieu qui misait sur la collaboration entre ces «co-workers» pour créer un communauté d’entraide et de pluricompétence. Lorsque l’on définit simplement ce qu’est un espace de travail partagé, on parle d’«un type d’organisation du travail qui regroupe deux notions : un espace de travail partagé, mais aussi un réseau de travailleurs encourageant l’échange et l’ouverture. Il est un des domaines de l’économie collaborative. (source wikipédia).
Concept de plateau ouvert par Le Corbusier 1920
Collaboration et espace ouvert donc, tiens tiens, les frères Schnelle, inventeurs de l’open space dans les années 1950, poétiquement nommé «bureaux paysagers» à l’époque, n’avaient-ils pas le même projet en décloisonnant les bureaux ? Oui, le principe était là ; il était même question « d‘espaces généreux, agrémentés de nombreuses plantes vertes.»
Un concept qui aura connu son heure de gloire aux États-Unis, puis en Europe dans les années 80 : une époque où l’on prônait les vertus d’une aire ouverte pour favoriser les échanges entre travailleurs, pour désacraliser la hiérarchie et où il était également question de mieux faire travailler le groupe avec les forces et spécialités de chacun, une forme de communauté s’adaptant plus facilement, plus réactive, moins individualiste. Les gestionnaires et spécialistes en organisation du travail se sont ensuite approprié le concept d’open space pour ses avantages en terme de contrôle dans une illusion de liberté. Des ouvrages aux titres évocateurs comme L’Open Space m’a tué, de Thomas Zuber (Editions Hachette Littérature) ou encore Elisabeth Pélegrin-Genel avec son livre Comment (se) sauver (de) l’open-space ? (Editions Parenthèses) ont donné des points de vue pour le moins critiques sur le concept. Ce sont finalement les entreprises en technologie qui, après l’avoir fortement popularisé (pensez table de ping-pong, couleurs criardes et jeux de plein air négligemment déposés sur les bureaux), reviennent sur des concepts de «zones tampons», «salles d’intimité» permettant aux employés de s’isoler (parfois). Bref il semblerait que l’on ait fait le tour de l’aire ouverte.
Ce (très) long préambule met la table de ce que sont devenus les espaces de coworking, ces cousins (pas si) éloignés de nos feux open-space, au niveau aménagement tout d’abord puisque l’espace de coworking se caractérise (avec des variations j’en conviens) par une aire ouverte dans laquelle des entrepreneurs de tout acabit viennent travailler. Au niveau des valeurs également puisque la force du groupe, les échanges et interactions, les valeurs communes et l’objectif de performance commune sont autant de points que l’on retrouve au cœur des discours lorsque l’on parle de coworking.
Au Québec, ces espaces de travail collaboratifs – ou plutôt leur croissance exponentielle – est relativement récente mais le marché est loin d‘être saturé. Le raffinement dans l’offre auquel on assiste depuis les deux dernières années et la spécialisation d’espaces dédiés à certaines thématiques laissent entrevoir de belles années pour la province. À Montréal cette carte éditée par PME Montréal dresse le portrait de plusieurs dizaines d’espaces aux spécificités et vocations particulières. Qu’il s’agisse de ceux dédiés aux entrepreneurs en alimentation comme le propose Foodroom, de ceux dédiés à l’innovation sociale comme l’Esplanade ou encore ceux plaçant la culture au centre de leur vocation technologique, socle sur lequel Crew s’est constitué au cœur d’un joyaux architectural du Vieux-Montréal : le raffinement dans l’offre est un impondérable.
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Une sorte de 2ème vague pour dépasser la simple présence d’une machine à espresso et d’une table de billard, la collaboration entre «co-worker» doit opérer pour les bonnes raisons, pour des valeurs partagées, des réalités communes ou encore des complémentarités qui en font la force.
L’espace Crew à Montréal
Le marché est aussi en train de se structurer avec des joueurs internationaux, c’est le cas de Wework dont les forfaits mensuels permettent aux travailleurs nomades de papillonner d’un continent à l’autre en travaillant dans les installations de la multinationale à travers la planète (63 bureaux à travers le monde, plusieurs dizaines de milliers de Weworkers et une valorisation boursière de 16Mds$). L’entreprise va plus loin avec le concept «d’espace de vie collaboratif» WeLive lancé au printemps dernier à New-York et à Arlington en Virginie proposant l’expérience ultime de logements tout compris (serviettes de bain, concierge, wifi et bières compris dans les mensualités s’échelonnant de 1200 à 3050 $ américains).
Blogfrabrik – Berlin (Photo par Christoph Neumann)
Cette seconde vague voit se développer en Europe de nouveaux concepts, ainsi en Allemagne, où des espaces se rapprochant du coworking ont émergé dans les milieux artistiques dès les années 30, Blogfabrik à Berlin est revenu sur l’essence même de collaboration. En effet le coût de la location mensuelle d’un espace est couvert par les locataires lorsqu’ils publient deux articles dans le magazine en ligne de l’espace de coworking, ou qu’ils offrent leurs services de photographes ou de vidéastes en plus d’en faire la promotion dans la communauté. En France, c’est l’explosion des espaces de co-working hors grandes agglomérations que l’on constate depuis quelques années, phénomène symptomatique d’une réalité croissante de travailleurs qui décident de devenir autonomes et qui s’expatrient « à la campagne », l’espace de coworking devenant petit à petit une communauté tissée serrée offrant l’ensemble des services « vitaux » du travailleur autonome (comprendre wifi et machine à espresso) et même d’avantage avec des fablabs, potagers ou encore des chambres permettant aux travailleurs en exil de rester dormir sur place. En France toujours, Céline Martinet et Laura Choisy, deux «travailleures» autonomes ont créé Cohome, un service de co-working… à domicile. Moyennant un loyer modique, les pigistes, travailleurs autonomes et autres start-ups en démarrage peuvent « squatter » le salon et la salle à manger de leur « hôte », la solitude du travailleur à domicile en moins.
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Les destinations hors occident sont également touchées par le phénomène et les espaces comme Dojo Bali à Bali, comme Punspace en Thaïlande pour les nomades digitaux se comptent par dizaines. Surf Office, présent aux Canaris et à Lisbonne, est même l’initiative d’un travailleur autonome qui souhaitait concilier son métier et sa passion pour le bord de mer. Espaces de travail collaboratifs donc et une façon de répondre aux désirs de travailleurs toujours plus mobiles et de s’adapter à une réalité d’un monde du travail dans lequel les limites entre vie professionnelle et vie personnelle sont de plus en plus floues.