Les logiciels libres, au service du développement durable
Le secteur de l’économie sociale, et plus largement du développement durable, est en passe de disposer d’outils informatiques spécifiques, issus de la mouvance du logiciel libre. Nous avons rencontré les représentants de l’Ai2L, association franco-québécoise qui se consacre à cet enjeu.
Tandis que les structures d’économie sociale et solidaire disposent d’outils financiers et juridiques spécifiques, six partenaires français et québécois -– la Caisse d’économie solidaire, Filaction, Fondaction, le Crédit Coopératif, le Groupe Chèque Déjeuner et la Macif -– ont créé l’Ai2L. Sa mission : contribuer à l’indépendance informatique des institutions financières et des entreprises d’économie sociale et solidaire, en développant des outils informatiques spécialisés et accessibles. L’Ai2L travaille notamment à la création d’un lieu virtuel de production de logiciels libres (Alvéole) et d’une suite de logiciels libres pour les institutions de la finance solidaire, avec l’appui de la Chaire de logiciel libre de l’UQAM.
Entrevue avec Bastien Sibille, coordonnateur français de l’Ai2L, de passage au Québec, et Claude Normandin, responsable développement stratégique et commercialisation à Fondaction, et correspondante technique pour le compte de l’Ai2L.
En quelques mots, expliquez-nous l’interrelation entre les secteurs du logiciel libre et de l’économie sociale.
Bastien Sibille Notre vision est qu’il existe un véritable enjeu à équiper, au sens large, les structures d’économie sociale et solidaire, de logiciels qui soient en cohérence avec leurs valeurs. Or, les logiciels libres sont des logiciels ouverts sur les plans technique et juridique ; on a donc accès au code source, ce qui permet l’adaptation, l’amélioration et la libre diffusion du logiciel. Il y a une dimension solidaire substantielle à l’ouverture technique du code. Une ouverture protégée juridiquement, rendant impossible l’appropriation du logiciel par une personne physique ou morale. De cette façon, on s’assure qu’il demeurera un bien commun. Les modes de conception des logiciels libres s’arriment aux valeurs de l’économie sociale.
Claude Normandin La force de ces logiciels est aussi de donner la possibilité d’être paramétré et personnalisés en fonction de la réalité souvent spécifique des entreprises d’économie sociale et solidaire, liée à des clientèles particulières ou à une vision souvent plus "responsable" qui tient compte de critères extra-financiers. Or, les outils dont elles disposent — les logiciels propriétaires –- les empêchent concrètement de pouvoir le faire. Si on veut élargir le champ de la responsabilité sociale et du développement durable, il faut rendre accessibles aux organisations, tant au Nord qu’au Sud, des outils de gestion adaptables à ce qu’ils sont capables et à ce qu’ils souhaitent faire.
Vous avez créé la "Forge Alvéole", un lieu virtuel de production. En quoi consiste-t-il exactement?
Bastien Sibille C’est un lieu virtuel de production d’un logiciel auquel on peut accéder à distance, ce qui permet à des développeurs de partout à travers le monde de travailler sur un même projet. La Forge Alvéole se veut plus particulièrement un lieu de rencontre et de travail collectif entre des structures d’économie sociale et solidaire et des développeurs de logiciels libres. La seconde raison d’être de la Forge est d’héberger les travaux de la Chaire et d’en donner l’accès à d’autres développeurs. Enfin, le troisième axe de travail consiste à inciter des grandes organisations de l’économie sociale et solidaire, qui ont développé des structures potentiellement utiles à l’ensemble du secteur, à en libérer le code pour qu’il soit disponible à d’autres organisations.
Pouvez-vous nous donner un exemple de logiciel créé par l’Ai2L ?
Claude Normandin Il y avait, au sein de la Forge, un projet visant à faciliter la planification, la saisie et la gestion de l’information des différents référentiels en développement durable comme la GRI, le Pacte mondial, etc. Il a été développé pour permettre aux entreprises d’avoir accès à un système de gestion de l’information qui facilite la reddition de comptes. Ce logiciel est innovateur, parce qu’on y croise différents référentiels, ce qui permet aux organisations d’entrer dans la reddition de comptes par divers chemins. L’objectif, pour les organisations, est d’apprendre à bien mesurer ces divers indicateurs et ainsi prendre de nouveaux engagements afin d’être plus responsable. Ce logiciel pourrait ainsi être utilisé pour apprendre à gérer toute cette information, en utilisant des référentiels déjà reconnus, même par une entreprise qui ne souhaite pas nécessairement faire de reddition de compte formelle.
Quel est le principal défi pour l’Ai2L au cours des prochaines années?
Bastien Sibille L’enjeu principal aujourd’hui, c’est un changement d’échelle : que l’on soit en mesure de diffuser à l’international les logiciels produits par l’Ai2L, notamment vers les pays du Sud qui ont particulièrement besoin d’accéder à ces technologies. Nous travaillons également à mettre sur pied des structures d’accompagnement pour la mise en place des logiciels, incluant formation, paramétrage, infogérance.
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